Heribert Hallermann, Thomas Meckel, Sabrina Pfannkuche, Matthias Pulte (Hg), Der Strafanspruch der Kirche in Fällen von sexuellem Missbrauch (Würzburger Theologie, Bd. 9, Würzburg 2012, Echter Verlag, 412 S, 29,00 EUR, ISBN: 978-3429035389
La révélation de maints cas d’abus sexuels sur mineurs par des personnes engagées dans l’Eglise catholique oblige aujourd’hui cette dernière à répondre de façon responsable, en vérifiant que sa stratégie est valable et efficace: d’abord par une juste prise en charge et une sollicitude pour les enfants victimes, et ensuite en s’interrogeant sur la justice qu’elle met en œuvre à travers en particulier le droit canon, une justice qui devrait compléter et non pas entrer en conflit avec la justice étatique. C’est pour clarifier ces perspectives que les canonistes des universités de Mayence et Würzburg organisèrent au Schloss Hirschberg en octobre 2011 une journée d’études et des ateliers interdisciplinaires. Le présent ouvrage en reprend et prolonge les contributions.
Au total, cela représente 15 papiers d’horizon divers, mais centrés sur la régulations juridiques et morales des abus sexuels. Le psychologue et théologien Ruthard Ott précise les concepts et la terminologie (violence physique, abus sexuels, pouvoir d’emprise sexuel…). Il évoque les abus sexuels comme des transgressions des limites et une emprise sur les corps, en montrant la complexité des situations, exemples à l’appui. Il propose des chiffres et des faits en croisant les données de la hotline mise en place par la conférence des évêques allemands et des données de diocèses ou autres ; il analyse les comportements et stratégies des abuseurs, et les atteintes traumatisantes tant pour les victimes que les concernés, y compris les communautés et institutions. Ce premier chapitre propose ainsi une vue d’ensemble très éclairan te sur la situation. Le lecteur est alors près à passer à des perspectives plus juridiques.
Le théologien, canoniste et philosophe Matthias Pulte compare le droit pénal étatique et celui de l’Eglise catholique à propos des abus sexuels pour interroger une certaine partialité. En effet, demande l’auteur, pourquoi les processus ecclésiaux ne prévoient-ils comme « personnel des cours juridiques » que des clercs et pourquoi ces consignes papales imposant le secret? N’est-ce pas justement cela qui fait obstacle à une réforme urgente du droit de l’Eglise? Le canoniste Wilhelm Rees de l’université d’Innsbruck analyse les normes auxquelles fait appel la Congrégation pour la Doctrine de la foi et revient sur leur développement historique. Heribert Hallerman, canoniste de l’université de Würzburg, se pense sur les lignes directrices de la conférence épiscopale allemande et note un autre point d’achoppement juridique. En effet, ces consignes officielles essaient d’englober tous les collaborateurs ecclésiaux et proposent une définition de l’abus sexuels au sens de l’art.13 du code pénal allemand. Mais ces lignes directrices n’ont pas force juridique et ne peuvent en avoir que dans la mesure où les diocèses singuliers les reconnaissent tels. Or nombre d’évêques (la plupart!) ne font pas ce pas! L’auteur pointe ce déficit d’articulation entre lignes directrices et droit canon tout comme la différenciation entre mesures disciplinaires et pénales.
Stephan Ernst propose ensuite sur le plan de la théologie morale, une analyse particulièrement intéressante. Il note des « ambiguïtés » et « problèmes » qui rendent l’appréhension de ces abus sexuels si complexes. Ainsi, dans les formulations juridiques de l’Eglise catholique, il n’est question que de clercs (et non pas des laïcs collaborant dans le service d’Eglise). Ensuite l’abus sexuel par des clercs sur des mineurs n’est initialement et principalement compris que comme un délit contre le 6e commandement du Décalogue, dans un sous-point qui empêche pour partie au moins de prendre en compte pleinement cet abus et les conséquences pour les victimes… Il analyse les manuels de théologie morale : jusqu’aux années 90, pas de mention de ces abus alors que par ailleurs les péchés et fautes (et les deux sont à distinguer) contre le 6e commandant sont détaillés plus qu’il n’en faut… L’abus sexuel est un délit contre la continence impliquée par le vœu de chasteté en vue du Royaume de Dieu.
Mais n’est-ce pas cynique, demande l’auteur, de ne comprendre l’abus sexuel qu’à partir des atteintes à la continence, sans prendre en compte la souffrance et l’injustice faite aux enfants et aux mineurs, leur droit à l’autodétermination sexuelle, à la protection de leur intégrité corporelle et spirituelle de l’enfant ? De façon fort judicieuse, l’auteur compare avec la question du viol des femmes dont le traitement juridique ecclésial est finalement assez proche et sur certains points problématiques. Il analyse ensuite les arguments téléologiques et personnalistes et finalement définit l’abus sexuel comme une atteinte à la dignité de la personne et une mauvaise conduite. L’injustice réside dans la violence et la contrainte imposée à l’autre, moralement ou physiquement, en l’absence de consentement. Elle est aussi dans les blessures et traumatismes causés. Elle est enfin dans l’atteinte à la mission et à l’image du clerc et de l’Eglise.
Ce péché contre le 6e commandement n’est pas un repère clair et immédiatement transposable en pratique, mais comme le soulignera aussi un peu plus loin Sabrina Pfannkuche en faisant l’exégèse du canon N°1395, §2, il peut néanmoins pointer la gravité de la faute. Quoi qu’il en soit, comme le souligne Stephan Haering, il demeure une insuffisance des normes canoniques et en particulier du livre VI du Code pour traiter des cas d’abus sexuels. Thomas Meckel analyse la genèse, l’élaboration et la portée des droits fondamentaux à la protection de la bonne réputation et de la vie intime.
La contribution de Charles J. Scicluna, promoteur de justice à la Congrégation pour la doctrine de la foi, suscite finalement d’autant plus la curiosité : «comment et en quoi la Congrégation pour la doctrine de la foi est impliquée?». Le contenu est précisé dans le sous-titre : «remarques sur le Motu proprio Sacramentorium Sanctitatis Tutela (SST) (30 avril 2001 et 21 mai 2010) et sur les pratiques de la CDF». Le prélat rappelle d’abord les 5 lignes directrices dont il estime qu’elles guident les analyses et sentences de la CDF :
- D’abord la
« juste sévérité » fondant
une peine proportionnelle à la gravité des fautes
commises (des biens contredits).
- Ensuite le
devoir du secret qui doit être évalué en lien avec
la nécessité de pourvoir au bien de la communauté,
sans empêcher la légitime defense par ex., le droit de
défense de l’incriminé, et sans faire obstacle au devoir
de signalement des faits qui est en vigueur dans certains pays.
- Le 3e principe
considère que toute peine doit être juste.
- 4e
énonce la compétence de la CDF, « ratione
materiae », ce qui veut dire une compétence sur la
base de l’objet qui doit être protégé, en
l’occurrence la foi de l’Eglise, la vie et l’intégrité
physique des générations à venir. Mais cela
signifie aussi que la CDF est aussi compétente pour les cas
d’abus sexuels pour lesquels le droit canon ne prévoit pas de
peine et pour lesquels la peine serait prescrite.
- Le dernier
principe enfin, concerne le droit de défense de l’inculpé
dans le contexte des investigations et le souci du bien de la
communauté.
Dans la dernière partie de l’ouvrage, l’on trouvera une
série de contributions et de positionnements en vue des
ateliers, qui témoignent de tentatives pour aller dans l’avant
dans ces questions difficiles. Quelle devrait être la
« juste peine » demande Peter Fabritz. Quelles
sont les possibilités de réhabilitation des innocents,
continue le vicaire général Georg Kestel. Etc.
Au final, cet ouvrage fort riche, bien documenté, donne à penser. Il propose des réflexions et des questionnements, relevant essentiellement du droit de l’Eglise qui devraient inciter celle-ci à les prendre en compte de façon à favoriser une réaction plus adaptée de l’Eglise. La question de l’articulation entre droit ecclésial et étatique mérite une particulière attention quand on sait qu’il n’est jamais bon d’être juge et partie.
La critique:
Prof. Dr. Dr. Marie-Jo Thiel, Université de Strasbourg (France),
Directrice du CEERE (Centre Européen d'Enseignement et de
Recherche en Ethique) - http://ethique-alsace.unistra.fr.
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