theologie.geschichte - Zeitschrift für Theologie und Kulturgeschichte

Emmanuel Faye

Le national-socialisme de Heidegger et les catholiques français

Contribution à une réflexion d’ensemble à partir de quelques exemples

(Résumé d’exposé,  colloque „Theologie und Vergangenheitsbewältigung II. Französischer Katholizismus - deutscher Protestantismus 1930-1950“, 12. à 14. janvier 2007)

Traiter de la réception de Heidegger chez les catholiques français n’est pas un sujet facile. Nous nous heurtons en effet à une contradiction majeure : comment un auteur aussi radicalement hostile au christianisme en général et au catholicisme en particulier a–t-il pu bénéficier d’un accueil favorable chez maints philosophes catholiques ? Pour comprendre cette contradiction, il faut tenir compte de plusieurs raisons. Nous en distinguerons quatre. La première, c’est que bien des textes de Heidegger les plus radicalement hostiles au christianisme et au catholicisme n’étaient pas connus en 1945. On disposait cependant de suffisamment d’éléments pour voir clair dans ses positions. La seconde, c’est que Heidegger a usé de stratégies éprouvées, comme on le voit par exemple dans sa rédaction de la Lettre sur l’humanisme de 1947. La troisième, c’est le rôle capital qu’ont joué philosophes et théologiens catholiques et heideggériens de Fribourg dans la réintroduction, après 1945, de la doctrine heideggérienne dans le catholicisme. La quatrième, qui est sans doute moins connue, c’est l’influence de certaines personnalités éminentes de la vie intellectuelles française dans la propagation de sa doctrine, et dont les orientations, dans les années 1939-1943, ont vraisemblablement joué un rôle dans l’intérêt qu’elles ont porté à Heidegger.

Nous devons par ailleurs bien préciser les limites de notre étude. N’étant pas théologien, mais philosophe, nous n’entendons pas traiter de la relation de Heidegger à la théologie – sujet qui a d’ailleurs été maintes fois traité – mais des conditions de sa réception par un certain nombre de philosophes catholiques. Nous ne chercherons pas à être exhaustif –  tâche impossible dans les limites d’une conférence –, nous tenterons, au contraire, d’approfondir l’étude de quelques cas représentatifs. Pour rester dans l’esprit de ce colloque, nos considérations seront surtout historiques et factuelles et nous nous attacherons à citer directement les textes et les propos des auteurs. Ce n’est que de façon ponctuelle que nos considérations seront plus spéculatives.

Une autre difficulté de cette étude, c’est que toute analyse de la réception de Heidegger dans tel ou tel champ culturel, suppose des recherches préalables et approfondies sur la doctrine même de Heidegger. Nous sommes donc obligé de supposer connues, au moins dans leurs grandes lignes, les thèses et les analyses exposées dans notre travail sur Heidegger – actuellement en cours de traduction en allemand. Seuls quelques éléments clé pourront-être évoqués.

Nous proposerons quatre études:

(1) La radicalité de l’anti-catholicisme de Heidegger et la stratégie mise en œuvre après 1945. La croyance völkisch  qui constitue le fond de la doctrine heideggérienne, repose sur la conviction d’une supériorité ontologique radicale de la souche (Stamm)  et de la race (Rasse) germaniques, qui autorise explicitement toutes les dominations, toutes les discriminations, et même l’« extermination totale » (völligen Vernichtung) de l’ennemi greffé sur la racine la pus intime du peuple (GA 36/37, 91). Les fondements de cette croyance sont à l’opposé absolu de l’esprit chrétien et elles détruisent tout sens humain. Il n’est donc pas étonnant de constater avec quelle virulence Heidegger s’en prend au christianisme et au catholicisme, lorsque la situation historique le lui permet. Nous en donnerons quelques exemples.

(2) L’influence de certains catholiques heideggériens allemands de Fribourg sur le monde francophone ne doit pas être éludée : nous prendrons pour exemple l’heideggérianisme radical de Max Müller et son ascendant sur Roger Munier, traducteur de la Lettre sur l’humanisme.

(3) Certaines hautes personnalités françaises favorables à Vichy, voire accueillantes aux nationaux-socialistes ont joué un rôle problématique de passeurs. Nous étudierons les cas assez différents de Maurice de Gandillac et de Jean Guitton. Nous analyserons notamment la relation peu connue de Jean Guitton avec un disciple allemand de Heidegger – le philosophe national-socialiste Hans Heyse –, et l’influence après 1945 de Guitton dans la ‘sacralisation’ de Heidegger.

(4) Alors que le thomisme français, avec des personnalités aussi différentes que Jacques Maritain, Marie-Dominique Chenu et Etienne Gilson, avait plutôt bien résisté à l’heideggérianisme, cette résistance a finalement été en partie contournée, et nous montrerons de quelle manière. Nous évoquerons brièvement une période plus récente que celle prévue par ce colloque, mais dont la connaissance est indispensable pour accéder à une vision d’ensemble et actualisée du problème.

En effet, après avoir envahi la philosophie, il serait particulièrement préoccupant que la doctrine de Heidegger puisse pénétrer massivement le catholicisme. Cela pourrait conduire à des excès comparables à celui dont témoigne un article récemment publié par la F.A.Z., et que nous évoquerons à titre d’exemple.

Heureusement, la conscience critique de ce que représente véritablement Heidegger s’est manifestée chez plus d’un historien, philosophe ou théologien catholique en Allemagne, en Suisse et en France : nous pourrions évoquer Hugo Ott, Ruedi Imbach, Kurt Flasch, Charles Morerod…, mais nous conclurons sur la prise de conscience très remarquable d’Henri de Lubac, dans un texte de 1942 qui vient d’être réédité, pour montrer que les choses étaient déjà claires, pour certains, dès les années 1940.

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