Bernard Comte
Théologiens catholiques français engagés dans la Résistance
(Résumé d’exposé, colloque „Theologie und Vergangenheitsbewältigung II. Französischer Katholizismus - deutscher Protestantismus 1930-1950“, 12. à 14. janvier 2007)
Remarques préalables
La Résistance, c'est en France la participation active au combat
contre la puissance hitlérienne, ses alliés et ses
"collaborateurs", pour libérer le pays de leur domination et
s'opposer à leurs actions destructrices. Pour les
Français, ce choix est plus simple que pour les Allemands,
puisque le patriotisme renforce la cause du droit et de la
liberté des peuples et la détestation de
l'hitlérisme, religion de la race. Mais d'autre part l'existence
du régime de Vichy fait écran entre les nazis et leurs
adversaires en associant la "collaboration" à la
"Révolution nationale", qui est sympathique à la
majorité des catholiques.
Parmi les catholiques convaincus et les prêtres qui
adhèrent à la Résistance, certains le font par
patriotisme ou par attachement à la liberté sans que
leurs convictions religieuses motivent directement leur engagement ;
ils les invoquent seulement lorsqu'ils sont blâmés par les
autorités religieuses. J'examinerai ici la pensée de ceux
qui ont choisi de résister pour des raisons religieuses, et qui
les ont développées en théologiens, devenus les
inspirateurs de la "résistance spirituelle".
1. La pensée des
théologiens de la résistance spirituelle
Elle s'exprime dans les Cahiers du
Témoignage chrétien, publiés
clandestinement à Lyon de 1941 à 1944 sous la direction
des jésuites Pierre Chaillet et Henri de Lubac, ainsi que dans
les causeries de leur ami Yves de Montcheuil et dans les "discours
interdits" du recteur de l'Institut catholique de Toulouse Bruno de
Solages.
Ces théologiens n'expriment pas des opinions politiques
personnelles. Ils ont observé et analysé, avant la
guerre, le sort des Églises allemande et autrichienne soumises
à la persécution d'un pouvoir totalitaire, et leur ami
Gaston Fessard a conçu une théologie du politique qui
souligne le danger des deux idéologies totalitaires, le marxisme
et le national-socialisme. Trois convictions les animent : le nazisme
est une idolâtrie antichrétienne, peut-être plus
dangereuse que l'athéisme marxiste ; c'est la négation
des valeurs capitales, chrétiennes et humaines ; les consciences
chrétiennes doivent se mobiliser, le devoir de témoigner
de la foi est plus fort que les raisons d'être prudent ou
obéissant.
2. Sources théologiques
Disciples du philosophe Maurice Blondel, ils mettent en valeur le
sujet, la conscience individuelle libre et responsable ; les droits de
la personne appartiennent à tout être humain et ne peuvent
être effacés dans l'intérêt du peuple.
Proches du catholicisme social opposé à l'Action
française condamnée par Pie XI, ils ont critiqué
les nationalismes et affirmé la subordination de la politique
aux principes moraux et religieux.
Le père Chaillet, spécialiste de l'école de
Tübingen et de Jean-Adam Möhler, défend l'idée
que l'Église est communion avant d'être structure
hiérarchique ; ainsi tout baptisé peut et doit prendre la
parole au nom de l'Évangile face à un pouvoir
persécuteur, avec ses pasteurs ou en les suppléant.
L'Église se doit de défendre sa doctrine et ses
règles de vie, mais sa mission première est de former des
chrétiens décidés en conscience à incarner
dans leur comportement "le dogme vivant et vécu".
Liés aux mouvements de renouveau catholique du XXe
siècle, ces théologiens sont des artisans de la
redécouverte, à travers les Pères de
l'Église, d'une histoire du salut qui concerne l'humanité
entière. Familiers de la Bible, la solidarité entre le
Nouveau Testament et l'Ancien est chez eux au fondement du refus
chrétien de l'antisémitisme. Théologien du
mouvement missionnaire, Henri de Lubac réfute les
théories racistes qui nient l'unité du genre humain. Il
insiste d'autre part sur l'intérêt pour la
réflexion théologique des expériences de vie
menées dans la nouvelle action catholique. La résistance
spirituelle, qui associe catholiques et protestants, s'inscrit aussi
dans le mouvement oecuménique.
Dans un monde en proie à un "combat spirituel" vital, les
chrétiens qui témoignent, par la parole et dans les
actes, contre toutes les idolâtries - devoir plus urgent que ceux
de l'apostolat ou des oeuvres charitables - défendent aussi le
droit de tous les hommes à la vérité et à
la justice.
3. Suites du combat théologique
Dans leur combat de résistance spirituelle, ces
théologiens ont confirmé dans l'action et le risque leurs
convictions intellectuelles, et inspiré l'engagement politique
et militaire de nombreux chrétiens. Ceux-ci ont fait des
expériences fortes, sources de transformations de leur
mentalité. La place des laïcs dans l'Église,
l'équilibre entre l'obéissance à la
hiérarchie et l'autonomie des laïcs dans leurs engagements
temporels ont ainsi été l'objet de révisions,
voire de renversements qui ont provoqué des débats et des
oppositions entre théologiens. Les inspirateurs de la
résistance spirituelle se sont divisés, dès 1945
et encore après le concile Vatican II, sur les questions
posées par l'engagement politique du chrétien, notamment
vis à vis du marxisme et de la légitimité d'une
certaine coopération de chrétiens avec les communistes.
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